A propos de l'ouvrage de Valentine Goby

Marie-José Chombart de Lauwe
LA KINDERZIMMER

La Kinderzimmer a été à Ravensbrück un lieu particulièrement atroce marqué par la mort de centaines de bébés. Une romancière, Valentine Goby a tenté de le faire connaître aux lecteurs dans une œuvre de fiction, des personnages incarnant une réalité que des déportées ont vécue comme mères où soignante des nouveau-nés. L'Amicale de Mauthausen, sous la plume de Daniel Simon analyse l’ouvrage qui, dit-il, le déçoit. Pour moi, je suis plus que déçue, choquée par son texte pour plusieurs raisons.
La « captation » de mémoire qu'aurait opérée Valentine Goby s’il n'y avait pas eu trois bébés survivants? Jean-Claude, Sylvie et Guy sont porteurs d'une mémoire qui leur a été enseignée par leur mère, trop jeunes pour l’avoir eux-mêmes intégrée, mais leur vie témoigne des luttes considérables menées par leurs mères et leurs camarades pour maintenir en vie les bébés. Les dix-huit autres petits Français témoignent dans « Le livre des naissances » par leur mort d'un crime contre l'humanité commis contre l'espèce humaine à ses débuts. N’oublions pas toutes les autres nationalités du Nord au Sud, et de l'est de l’Europe dont les plus de 500 noms s’alignent dans ce livre, sacrifiés dans l’indifférence des nazis qui entendaient édifier leur homme nouveau.
Dans le roman, Valentine Goby n’opère pas une captation de cette mémoire, son personnage Mila symbolise et incarne les mères dont quelques-unes ont laissé des écrits sur leur histoire, leur grossesse au camp, la naissance. Je n’ai pas connu cette partie de leur vie qui a intéressé Valentine Goby. Mais pendant cinq mois, j'ai parlé avec les mères plusieurs fois par jour quant elles venaient tenter de nourrir les bébés. Mort, désespoir, tentative de réconfort, Sabine, tient mon rôle, un peu rajeunie. J'avais vingt et un ans.
Les déportées de l'Amicale de Ravensbrück apprécient vivement le livre La Kinderzimmer qui a un grand succès dans le public. Il en est au dixième tirage. Il suscite des conférences-débats avec souvent un appel aux sources historiques. Dans le numéro de février du Patriote Résistant, Irène Michine réalise une interview de Valentine Goby et moi-même intitulée Histoire et Fiction. Nous renouvelons les réflexions entreprises sur le thème Du témoignage à la narration littéraire, avec Jorge Semprun en 2001. (Les entretiens de l’A.F.M.D. La Sorbonne).
Il me semble utile de rappeler que dans mes recherches au CNRS et mon séminaire de thèse (EHESS) sur La socialisation de l’enfant et de I’adolescent, j’ai observé l’apport de la littérature et des modèles qu’elle propose, et rencontré les publications destinées à la jeunesse de Valentine Goby.
Avec la disparition des témoins, comment sensibiliser la génération des jeunes d’aujourd’hui à une histoire qui peut leur sembler lointaine, inhumaine.

Pour appréhender la réalité du nazisme, l’utilisation de la fiction et de l’art peut être une voie de sensibilisation.